La communication au service du droit de la preuve

La communication au service du droit de la preuve

Bien que non établi contradictoirement, un rapport amiable peut être admis à titre de preuve à la condition expresse qu’il ait été communiqué à celui auquel il est opposé , le soumettant ainsi à la libre discussion des parties. S’il est un thème où les lieux communs ont la vie dure, c’est bien celui relatif aux règles de preuve, tant les jurisprudences de la cour suprême évoluent en fonction des innovations techniques et des intérêts des parties au procès, la dernière évolution trouvant sa source dans la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 et son décret d’application du 30 mars 2001.

Depuis l’Ordonnance n°45-2592 du 2 Novembre 1945 le constat établi par huissier de justice est considéré comme la reine des preuves, en raison du statut du rédacteur , de la fréquence de la présentation en justice de ce type de rapport qui suscite l’intérêt du juge –quand ce dernier n’en est pas l’instigateur, hypothèse des constats d’audience – , alors que son rédacteur ne dispose d’aucun monopole en la matière. Ce monopole étant exclusivement réservé aux significations des actes et exploits. La rumeur avait coutume de véhiculer la fausse théorie selon laquelle aucun crédit ne devait être accordé au constat d’huissier de justice qui n’aurait pas été établi contradictoirement.

Or la législation en matière de constats d’Huissier de Justice est uniforme, sans que dans ce texte général ne soit abordé le principe de l’établissement contradictoire du rapport. En effet, valent jusqu’à inscription de faux les mentions contenues dans ce constat ayant trait à la date de l’acte, et le transport sur les lieux du constatant ou du clerc habilité, par analogie à la forme des actes de procédure, mentions relatives à la signification en moins;alors que les indications contenues au sein du rapport”n’ont que la valeur de simples renseignements “, et peuvent en conséquence être combattues par toute preuves contraire. En revanche, en cas de contestations sur les éléments valant jusqu’à inscription de faux, c’est la lourde et grave procédure de faux en écriture qui s’impose, avec toutes les gravissimes conséquences au plan disciplinaire et pénal pour l’auteur de l’infraction. La contestation peut en effet être soulevée sur la personne du rédacteur et donc du signataire de l’acte, quant à de la mention que le titulaire s’est bien rendu sur les lieux alors que seul aurait pu être dépêché un clerc .

Et ce à l’image de ce que l’on rencontre en matière de signification d’actes et exploits, la mention de la rédaction et de la signification de l’acte par l’Huissier de Justice, seul habilité à diligenter les actes d’exécution conformément à l’article 6 de la loi du 27 décembre 1923 à l’image des saisies attributions, alors que le véritable significateur de l’acte n’est que le préposé du titulaire à savoir le clerc assermenté auquel interdiction est faite de dresser un tel acte . Tomberait également sous le coup de l’inscription de faux, la mention sur l’acte d’Huissier de Justice qu’il a fait l’objet d’une signification par clerc assermenté, alors que le salarié n’a pas préalablement accompli les formalités afférentes à son assermentation devant le Tribunal d’Instance du lieu d’exercice du commettant. L’ensemble de ces précisions n’est pas sans influence sur le droit de la preuve qui reste régi par des règles strictes lorsqu’il s’agit d’actes signifiés par l’Huissier de Justice, mais que la Cour de cassation a voulu dans la présente espèce assortir de la plus large liberté, à la condition expresse néanmoins que la partie intimée ait pu disposer des réels moyens de fournir des arguments utiles à la défense des ses intérêts.

Par une décision du 24 septembre 2002, la première chambre civile a délibérément privilégié le fond sur la forme, adaptant sa décision aux circonstances de l’espèce, sans pour autant qu’elle n’ait fait peser sur les parties un lourd formalisme afférent au mode rédactionnel d’un rapport d’expertise amiable dont elle a admis la validité quand bien même ce dernier n’aurait pas été établi contradictoirement, sachant, fait capital à notre sens que ce rapport amiable a été admis à titre de preuve pour avoir été soumis à la libre discussion de la partie auquel il était opposé pour lui avoir été régulièrement communiqué. C’est donc la communication de ce rapport amiable qui consacre le principe du contradictoire, sachant qu’à réception, le défendeur avait tout loisir pour argumenter en défense. Le droit de la preuve glisse alors à notre sens vers les éléments probatoires utiles à la démonstration de la réelle communication à la partie défenderesse du rapport d’expertise amiable, consacrant ainsi le principe du contradictoire cher aux juridictions communautaires. La preuve de la communication peut trouver sa source dans l’envoi du rapport par lettre recommandée avec accusé de réception – procédé de la notification cher aux administration-, avec la certitude difficile à établir à notre sens que ce pli recommandé contienne bien les documents annoncés.

A moins qu’il ne s’agisse d’une signification par voie d’huissier de justice soumise aux règles et obligations que l’Ordonnance de 1945 précitée dont les dispositions s’imposent aux actes et exploits, vecteur à notre sens d’une sécurité juridique maximale. La juridiction suprême a donc déplacé les exigences probatoires jusque là communément admises, la preuve essentielle en pareille matière pour faire admettre la validité d’un rapport amiable établi unilatéralement résidera dans la preuve qu’apportera le demandeur qu’il obéit aux dispositions de l’art. 15 du nouveau Code de procédure civile aux termes duquel les communications des pièces entre les parties doivent être mutuellement connues ainsi que les éléments de preuve produits et les moyens de droit invoqués “afin que chacune soit à même d’organiser sa défense”.

En conséquence, et par analogie, des éléments de choix sont ainsi fournis à l’encontre de certains contestataires qui ont pour fâcheuse coutume de dénigrer tout acte, rapport ou constat unilatéralement établi , au motif que l’ensemble des parties n’étaient pas présentes au jour de l’établissement du document . Il suffira alors pour mettre à mal leurs arguments que soit apportée la preuve que les règles de la communication des pièces ont bien été accomplies par la partie à l’initiative de laquelle le rapport a été rédigé. Ce procédé probatoire constitue pour le créancier une arme de choix destiné à surmonter la force d’inertie de certaines parties qui entendent briller par leur absence le jour de l’établissement de certains rapports, alors que de tels rendez-vous constituent non seulement l’occasion d’établir des éléments de preuve essentiels pour éclairer la religion des magistrats saisis du litige, mais aussi servant de base à une conciliation ou à un accord transactionnel extrajudiciaire, pouvant même en cas de besoin être homologué devant les juridictions, leur donnant la valeur d’un titre exécutoire au sens de l’art. 3 de la loi n° 91-650 du 9 Juillet 1991. La justice de proximité y trouve là sa plénitude.

Article paru dans l’édition de janvier 2003 de la revue “ANNALES DES LOYERS ET DE LA PROPRIETE COMMERCIALE, RURALE ET IMMOBILIERE”- Gabriel DAHAN Doctorant en droit.