La mise en garde de la banque à l’égard de son client dispendieux relevait jusque là du lieu commun , ce thème , à l’instar de Guignol ayant constitué une source intarissable d’inspiration aux humoristes. Mais voilà que les juges suprêmes de la Cour de cassation ont arrosé l’arroseur faisant peser sur les établissements financiers des responsabilités à géométrie variable en fonction du statut et de la personnalité de l’emprunteur qui finira par endosser , au fil des restrictions , l’habit de postulant emprunteur .
On avait coutume de parler du crédit sur mesure, et de vanter le pouvoir de dire oui voire de l’affirmer en chanson . On s’oriente désormais vers l’obligation de dire non.
Après quatre arrêts de la première Chambre civile du 12 juillet 2005 , (Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, Bull. civ. I, n° 124 à 127 ) source de multitudes de commentaires dans touts les supports juridiques spécialisés ,qui ont mis en exergue l’ obligation de conseil, d’information ou de mise en garde qui pèse sur la banque dispensatrice de crédit à l’égard de son co-contractant emprunteur , c’est au tour de la Chambre commerciale de la Cour de cassation de prendre ce relais , au travers de trois arrêts rendus le 3 mai dernier (n° 638- 639- 640 FS-P+B+I ) , mais se contentant de le saisir du bout des doigts .
Selon la jurisprudence civile la banque se doit de mettre en garde l’emprunteur profane ;et face à un emprunteur averti, sorte de co-contractant d’égale ” force juridique ” ,le prêteur de deniers doit se plier à un simple devoir d’information.
En effet , dans l’hypothèse d’une demande urgente de crédit , une cour d’appel avait retenu que ” l’intéressée ne pouvait reprocher à la banque le choix qu’elle a fait de conserver son épargne, une banque ayant un devoir d’information sur les choix de son client, mais n’ayant pas à s’ingérer dans la gestion des comptes de ce dernier, qu’il ne pouvait être reproché à la banque d’avoir offert à sa cliente un prêt plutôt qu’un autre, celle-ci en l’absence de toute démonstration contraire pouvant librement souscrire ou non le prêt qui lui était proposé, et que rien ne démontrait qu’au moment où elle a souscrit les différents crédits, la cliente se fût trouvée dans une situation d’urgence l’empêchant de consulter un tiers qualifié et en particulier son père qui était présenté comme un ancien cadre de la banque ” et cette décision de subir la censure aux motifs qu ‘ ” en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si lors de la souscription de chacun des crédits consentis à sa cliente par la banque, celle-ci avait, comme elle y était tenue en tant que gestionnaire de comptes, éclairé sa cliente sur les avantages et inconvénients du choix qui s’offrait alors à cette dernière, pour couvrir le solde débiteur de son compte de dépôt, entre le recours au crédit et la mobilisation de l’épargne figurant sur ses autres comptes, la cour d’appel, qui s’est fondée sur des motifs inopérants, n’a pas donné de base légale à sa décision, de ce chef, au regard de l’article 1147 du code civil ” .
Ce courant jurisprudentiel sur fond de mise en garde de la part de la banque apparaît établi et confirmé par un arrêt de la 1ére chambre civile de la Cour de cassation du 21 février 2006 ( JCP, éd. E, 2006. 1522, note D. Legeais) mais ne pèse en aucun cas sur la banque le moindre devoir de conseil absolu consistant à orienter l’emprunteur vers un choix dont il doit demeurer le seul maître et souverain car cela relèverait de l’immixtion . Eclairer ne saurait rimer avec guider.
Quant à la juridiction commerciale , elle se cantonnait jusque là à dénier à la banque toute responsabilité du à l’égard de l’emprunteur pour manquement à son devoir de conseil , retenant toutefois la faute du prêteur dans l’hypothèse d’un crédit accordé en connaissance de la situation financière fragile de son co-contractant qui de son côté ignore la précarité de sa propre situation pécuniaire (Cass. com., 24 sept. 2003, Bull. civ. IV, n° 137, RTD com. 2004, p. 137, obs. D. Legeais).
Depuis le 3 mai 2006, le devoir de mise en garde de la banque fait son apparition dans le langage commercial.
Dans l’arrêt Crédit Lyonnais (n° 638), la question portait sur la nature professionnelle ou non de l’emprunt contracté afin d’investir dans des lots d’une résidence hôtelière. La théorie du risque entre alors en ligne de compte par rapport à un investissement de bon père de famille. En effet et par le passé , le caractère professionnel ne met pas en échec la proportionnalité et le caractère excessif des prêts en cause au regard des faculté de remboursement des emprunteurs.
La juridiction suprême visant l’article 1147 du Code civil , énonce donc : “Attendu que pour accueillir la demande de dommages intérêts de M. et Mme P., l’arrêt retient que le Crédit lyonnais a manqué à son devoir de conseil en s’abstenant d’attirer l’attention des emprunteurs sur le caractère illusoire de la rentabilité annoncée par le vendeur en l’état des charges et frais de fonctionnement inhérents à une résidence hôtelière et aux difficultés d’y trouver des locataires en permanence que lui-même ne pouvait méconnaître, ainsi que sur l’impossibilité qui allait être la leur de bénéficier des avantages fiscaux escomptés ;Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir qu’à la date de leur octroi, en juin et octobre 1993, les prêts litigieux auraient été excessifs au regard des facultés de remboursement de M. et Mme P., compte tenu des revenus produits par les locations escomptées des biens acquis au moyen de ces prêts, ce dont elle aurait pu déduire que l’établissement de crédit avait manqué à son devoir de mise en garde, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ; ” Dans l’arrêt dit Natiocréditbail ( n°640 )la chambre commerciale tient compte de la compétence et de la situation patrimoniale du débiteur, ainsi que de la finalité de l’emprunt contracté les juges du fond ayant été invités, pour retenir à la charge du banquier l’obligation de mise en garde à l’encontre non pas de l’emprunteur, mais de la caution à prendre en compte l’âge de l’intéressée à la date de l’engagement litigieux, son statut d’étudiante profane ainsi que son patrimoine. On est proche du soutien financier abusif à un emprunteur aux ressources limitées. Il est vrai que l’on ne se doit que de prêter aux …riches. Toutefois ne pèse sur le banquier aucune obligation de mise en garde vis à vis des emprunteurs cautionnés au regard du degré d ‘implication des parties dans l’opération financière.
Quant à l’arrêt Banque française commerciale Océan Indien (BFCOI) (n° 639), la juridiction commerciale estime que : ” Mais attendu que l’arrêt -d’appel- relève que les prêts litigieux avaient été souscrits par Mme J., pour financer les travaux d’aménagement et d’extension d’une villa lui appartenant et que, pour cette opération, elle avait été assistée de son conjoint, présent lors de la signature des actes, lequel exerçait alors des fonctions de cadre supérieur au sein même de l’établissement prêteur et présentait, de ce fait, toute compétence pour apprécier la portée des obligations ainsi contractées par rapport aux capacités pécuniaires du ménage ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations dont il se déduisait, que l’intéressée avait été en mesure d’obtenir de son conjoint toutes les informations utiles pour lui permettre d’apprécier l’opportunité des engagements qu’elle souscrivait pour l’amélioration de son propre patrimoine, la cour d’appel a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que la banque, qui n’avait dès lors aucun devoir de mise en garde, n’avait pas commis de faute “. On retrouve donc l’inégalité de traitement entre le profane et l’averti.
La chambre commerciale ne semble avoir franchi qu’une partie du gué en direction de la théorie civiliste , qui place le devoir de mise en garde de la banque dispensatrice de crédit sous une obligation à trois volets : se renseigner sur la situation personnelle de l’emprunteur ,accorder un crédit qui soit adapté aux facultés de remboursement de l’emprunteur, et enfin alerter l’emprunteur sur le risque de non remboursement du prêt. En effet , les juges commerciaux n’ont mis l’accent que sur la deuxième de ces trois obligations .
Qu’on se le dise , qu’on le chante et qu’on le clame : la banque ne nous fait pas que la faveur et l’honneur de nous accorder un crédit . Elle réalise à son profit un acte de commerce et se doit de faire souscrire un contrat équilibré et exempt de tout vice de consentement . La condescendance change de camp.
CHRONIQUE PARUE DANS LE JOURNAL D’ ANNONCES LEGALES AL DE LOIRE ATLANTIQUE VENDEE L’informateur JUDICIAIRE dans son édition du 2 JUIN 2006.