Etat des Lieux Force Probante

BAIL. ETAT DES LIEUX. CONDITIONS DE FORME. FORCE PROBANTE.

A la différence d’un contrat qui doit être établi en autant d’exemplaires qu’il y a de parties, un état des lieux contradictoire ne saurait voir sa validité entachée par sa rédaction en un seul exemplaire, ce document ayant pour objet de constater une situation de fait à défaut de preuve contraire. Le contrat constituant la loi des parties, il doit consacrer la volonté non équivoque des signataires disposant de la pleine capacité à contracter. D’où la validité du document ainsi conclu de bonne foi qui doit tout normalement donner lieu à une exécution en fonction des termes convenus, et ce sous réserve d’absence du moindre vice du consentement . Jusqu’à preuve du contraire établie, les clauses sont présumées avoir été sincèrement conclues dans un climat de sérénité.

Dans un tout autre registre, l’état des lieux contradictoirement établi entre des parties est présumé lui aussi contenir des mentions sincères et véritables et en tous cas être porteur de la signature de l’ensemble des parties présentes, bien qu’il ne dispose pas du même effet qu’un acte synallagmatique tant en sa forme, qu’en son contenu. Le contrat est certes établi en autant d’exemplaires que de parties signataires alors que l’état des lieux contradictoire peut parfaitement être admis quand bien même il n’aurait été rédigé qu’en un seul exemplaire, fait toutefois rarement rencontré en matière de baux sous -seings-privés, les professionnels de l’immobilier usant en pareille matière des formulaires parfaitement adaptés aux circonstances sont rédigés sur support auto-copiés pouvant être parfaitement signés sur place à titre individuel à savoir une signature par exemplaire, chacune des parties se voyant ensuite remettre à la fin des opérations un exemplaire qui lui est propre, en tout point similaire, ou du moins a priori, à celui en possession de l’autre partie, tout comme en matière de constat amiable d’accident de la circulation.

La validité attachée à tous documents émanant de la volonté stricte des parties, et ce sous réserve de règles de forme et d’une souplesse qui laisse parfois verser vers le laxisme, ne saurait être remise en cause de façon systématique. En effet, la très grande majorité de tels documents sommairement rédigés ne donnent lieu à aucune contestation. Et pour cause même si un litige sur le fond venait à naître, il est rare que les parties mettent en cause la sincérité des écrits. Et la réalité n’est pas toujours empreinte de tant de magnanimité, les professionnels des actions extra-judiciaires et les prétoires sont quotidiennement confrontés à l’étude de litiges à l’occasion desquels la forme tend à prendre le pas sur le fond sous les auspices de la force probante des documents signés. Bon nombre des actions tentant de mettre à mal la force probante d’un contrat ou d’un état des lieux porte sur la forme rédactionnelle davantage que sur les circonstances et le contenu du support. La matière des baux notamment d’habitation génèrent un large contentieux comportant généralement sur la phase finale de l’exécution du contrat de bail à savoir la restitution des lieux par le preneur.

C’est pourquoi le législateur, dans le cadre de l’article 3 de la loi du n°89-462 du 6 juillet 1989, a consacré la réalisation des états des lieux d’entrée et de sortie par l’huissier de justice, sachant qu’en pratique, même si aucune des parties au bail ne s’oppose à un état des lieux contradictoire, appel est fréquemment fait aux offices de ce professionnel du droit, auquel l’alinéa 2 de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 donne le droit de procéder ” à des constatations … à la requête de particuliers” sans que ce texte n’alloue cependant à l’huissier de justice le monopole exclusif de la rédaction des constats dont les constatations “n’ont de valeur que de simples renseignements” . Néanmoins, le premier alinéa de ce dernier texte donnant à l’huissier de justice le monopole exclusif de la signification des actes et exploits, le constat contenant certaines mentions communes aux actes qui valent jusqu’à inscription de faux : date et transport sur les lieux de l’huissier de justice ou de son clerc habilité , il apparaît porteur d’une dose de sécurité et de sincérité dans l’aménagement de la preuve , engageant fortement son rédacteur.

Le constat revêt donc un caractère probatoire à valeurs multiples, les textes ayant distingué ses mentions authentiques de la partie technique qui constitue pourtant la raison d’être de cet acte que l’ordonnance de 1945 a pourtant qualifié de simples renseignements. Doit-on alors se résoudre à admettre que seule une valeur probante “au rabais” est véhiculée par cet acte qui est en pratique intitulé “Procès-verbal de constat” mais auquel certains préfèrent donner le titre de “Rapport de Constatations” mettant en exergue la nature ambivalente de cet écrit ? A moins que les rédacteurs du texte n’aient entendu consacré la libre appréciation de la juridiction à laquelle le constat sera soumis, l’huissier de justice devenant “l’œil du magistrat sur le terrain” avec toutes les conséquences attachées à de telles prérogatives , sans pour autant que le contenu du rapport ne doive s’imposer au juge.

En matière locative notamment, le constat ayant pour but d’établir un état des lieux , qu’il soit à notre sens contradictoire ou non sa validité ne saurait être remise en cause, contrairement aux rumeurs fréquemment entendues . Il reste soumis aux mêmes dispositions régissant les actes d’huissier en général et les constats en particulier tel que le définit l’ordonnance de 1945 précitée. Le principe du contradictoire est en effet légalement consacré en certaines particulières matières, d’où la nécessité de convoquer les parties notamment en matière locative (art 3 de la loi du 6 juillet 1989), et la pratique encourage plutôt à privilégier le constat contradictoire, ne serait ce que pour organiser les prémices d’une conciliation ultérieure entre les parties qui pourra toujours intervenir sous l’égide de l’huissier de justice es qualité de “monsieur bons offices “.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation clarifie par un arrêt du 23 mai 2002 à la fois la nature de l’état des lieux par rapport au contrat, et lui donne la force probante telle qu’elle découle de sa rédaction à savoir ” un état des lieux dressé contradictoirement constate une situation de faits jusqu’à preuve contraire”. En conséquence, à défaut pour les parties d’apporter la preuve contraire, l’état des lieux doit s’imposer. Il est présumé sincère et véritable alors à défaut d’être attaqué par des éléments contraires venant corroborer une autre thèse à savoir notamment la falsification. C’est donc ce risque de falsification, voire même, ainsi que la pratique peut le révéler, l’absence d’égalité entre les parties à l’état des lieux qui n’est pas sans influer sur l’exécution des obligations des parties.

Les germes de bon nombre de conflits trouvent en effet leur source dans le contenu d’un document rédigé et signé « à chaud » entre des parties souvent néophytes et ignorantes des usages en matière immobilière ne serait-ce qu’en matière de vétusté, d’obligation d’entretien, ou d’autres subtilités techniques attachées à l’immobilier ou juridiques traitant de l’interprétation voire de la simple lecture du support contractuel. Force est alors d’admettre une grande partie des litiges qui est endiguée par la rédaction d’un constat d’huissier de justice ne serait-ce qu’à travers la sincérité dans la rédaction et la neutralité dont doit faire preuve ce tiers de confiance, et ce malgré certaines critiques fréquemment émises quant à la nature et l’origine du mandat qui lui est confié : n’est-il pas mandaté par l’une des parties ? C’est sur ce point que le doute risque de s’instaurer, la pratique est riche de tels enseignements notamment à l’occasion de débats médiatiquement parfaitement relayés.

Quoi qu’il en soit , la rémunération et la nature du mandat n’ont jamais à notre sens justifié la renonciation du constatant au strict respect de ses obligations déontologiques; et ce pas plus à l’occasion d’un constat dressé à la requête d’un particulier, qu’à l’occasion d’un acte de signification ou d’exécution qui est lui-même également rémunéré par le demandeur en matière d’assignation ou de signification de décision de justice , soit « rémunéré » par… le débiteur en matière d’exécution en référence avec l’article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991. La sincérité nous apparaît devoir faire l’objet d’un débat d’un tout autre ordre, sans que ne puisse rentrer en considération le caractère de la rémunération, qu’elle soit libre ou tarifée d’une part, voire de la partie qui est à l’origine de la rémunération, qu’elle soit la partie requérante ou la partie débitrice.

Un état des lieux établi par l’huissier de justice pourra être combattu en ses énonciations valant à titre de simples renseignements par une preuve contraire laissée à l’appréciation de la juridiction saisie , alors que les mentions y apposées valant jusqu’à inscription de faux ne peuvent faire l’objet que d’une instance grave pour inscription de faux, avec tous les éléments probatoires à apporter. Au cas où cette dernière instance trouvait à prospérer, elle s’avèrerait lourde de conséquences pour l’huissier signataire, tant disciplinairement que pénalement. En conséquence , sur un plan strictement formel, l’état des lieux, qu’il soit établi contradictoirement par les parties ou qu’il trouve à s’insérer dans le cadre d’un constat d’huissier de justice n’est pas soumis aux prescriptions de l’article 1325 du Code civil qui exige autant d’exemplaires que de parties ayant un intérêt distinct.

Gabriel DAHAN Doctorant en Droit Article paru dans l’édition de décembre 2002 de la revue “ANNALES DES LOYERS ET DE LA PROPRIETE COMMERCIALE, RURALE ET IMMOBILIERE”-