L'Acte, L'Huissier de Justice et sa signature: A fond la forme !

L’ACTE, L’HUISSIER DE JUSTICE ET SA SIGNATURE: A FOND LA FORME

Longtemps considéré comme des éléments substantiels de l’acte d’Huissier de Justice, la signature et la mention du nom de son rédacteur n’ont jamais autant été au centre des débats depuis l’émergence de l’exercice de cette profession sous la forme des Sociétés Civiles Professionnelles.

Ce mode d’exercice ,tant au sein de Sociétés Civiles Professionnelles dont la personne morale est titulaire de l’Office, que dans le cadre de Sociétés Civiles constituées par deux Huissiers de Justice ayant réuni leur Office, ne remet pas pour autant en cause les prérogatives attachées à la personne morale ainsi créée dont son droit d’exister de manière autonome lié à sa personnalité juridique.

Au fil des jurisprudences, malgré de nombreux tempéraments, la tendance s’est plutôt orientée vers la nécessité de mettre l’accent dans la rédaction des actes de procédure sur le nom du titulaire signataire aux dépens de la personne morale qui ne constitue que le mode d’exercice libéral et fiscal.

La Société Civile Professionnelle, avec tous les avantages et inconvénients qu’on lui connaît, est à l’image de la ferrure pour l’équidé un mal nécessaire. La possibilité également ouverte pour les Huissiers de Justice d’exercer en société d’exercice libéral n’a pas pour l’instant -notamment pour des raisons essentiellement fiscales-, attiré un nombre suffisant de confrères pour qu’une synthèse et une balance avantages / inconvénients ne puisse être réalisée quant à l’avenir de ce mode d’exercice qui semble davantage prisé auprès des professions d’architecte et d’avocat qu’auprès des officiers ministériels.

Les prérogatives de puissance publique dont sont dotés les officiers ministériels plaident en faveur du renforcement du respect du formalisme attaché aux actes.

On peut à la fois considérer que l’officier ministériel personne physique ne serait rien sans sa qualité d’associé qui est mentionnée dans tous les actes de son ministère au sein de la personne morale, et a contrario avancer que cette dernière structure ne serait qu’une coquille vide sans ses membres titulaires des diplômes professionnels et juridiquement aptes à exercer les professions d’huissier de justice, de notaire ou de commissaire-priseur. Il ne faut pas y voir de simples considérations monopolistiques ou un quelconque privilège, mais un réel souci de garantie à l’égard des clients , des justiciables et de tous nos interlocuteurs .

C’est la reconnaissance personnelle de la qualité des titulaires que la jurisprudence a jusqu’alors consacré quant au nécessaire formalisme attaché aux actes de procédure, et ce à travers la signature de l’acte qui devient un élément substantiel de ce support. La conséquence directe de cette interprétation est la nécessité de faire prédominer le nom et la qualité du titulaire signataire par rapport à la personne morale, sans pour autant dénier à la société civile professionnelle son rôle essentiel dans le mode d’exercice de la profession qui ne saurait être un simple écran translucide.

La reconnaissance pleine et entière de la personnalité juridique de la société retrouve son droit de citer notamment dans la délicate matière de la responsabilité civile. Dans l’hypothèse d’une mise en cause, c’est la personne morale qui se trouve attraite en justice ,sous réserve des recours disciplinaires personnels contre l’auteur de l’acte litigieux , et c’est là que réside l’intérêt des mentions que sont le nom, le prénom et la qualité du titulaire signataire qui apparaissent comme des éléments et essentiels dont dépend la validité de l’acte. Chaque associé est en effet disciplinairement responsable à titre personnel des actes relevant de son ministère portant sa signature. La signature et le paraphe font d’ailleurs l’objet d’un dépôt auprès des autorités du Parquet de la République préalablement à toute prestation de serment. De là à considérer que des vérifications formelles ne doivent pas être réalisées en cas de doute ou de suspicion, il n’y a qu’un pas que le présent commentaire n’aura pas l’outrecouidance de franchir .

L’art. 648 du N.C.P.C. contient dans le cadre des mentions qui doivent obligatoirement figurer sur un acte d’Huissier de Justice “les nom, prénoms, demeure et signature de l’Huissier de Justice…” ces mentions sont prescrites à peine de nullité. Au même titre que la date, les identifications du requérant et du destinataire, il convient, au service de pures considérations probatoires que, dans l’acte, l’Huissier de Justice signataire soit clairement identifié, cette mention authentique valant jusqu’à inscription de faux.

La jurisprudence est en cette matière unanime et ce en conformité avec l’art. 45 du Décret n° 69 -1274 du 31 Décembre 1969 qui ne permet pas à l’Huissier instrumentaire de se dispenser des obligations d’identification personnelle sous couvert de l’exercice en S.C.P., et donc par analogie en société d’exercice libéral sachant que dans ce dernier mode d’exercice, peuvent être détenteur de parts sociales des personnes non-titulaires de la fonction d’Huissier de Justice, sous réserve du respect des strictes conditions de la répartition du capital social entre associés titulaires et non titulaires des conditions d’aptitude aux fonctions d’huissier.

Au titre de la sanction à ce manquement, il convient de s’intéresser au régime de la nullité d’un acte de procédure au sein duquel l’Huissier de Justice signataire n’est pas expressément voire clairement identifié ou du moins sans ambiguïté aucune. Aux termes d’un arrêt de la deuxième chambre civile du 19 Janvier 1977 – D 1977,0 IR 232, note Julien – a été jugé qu’il ne peut être déduit de l’omission de la signature de l’Huissier l’inexistence de l’acte, seul étant constitué un vice de forme obéissant aux dispositions de l’art. 114 du N.C.P.C. avec à la clé nécessité pour le demandeur d’invoquer le grief que lui aurait causé cette irrégularité.

La chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas en reste ( ch .com .20 Octobre 1998: Bull Civ. IV N° 252) … s’étant prononcée dans le même sens faisant obligation pour les huissiers de justice exerçant en société civile professionnelle de faire figurer dans leurs actes ,à peine de nullité les nom, prénoms et qualité d’associé ainsi que la signature de l’huissier qui a instrumenté, en plus de la société dont il est membre ainsi que l’adresse du siège de cette société. A notre sens, une telle jurisprudence consacre à la fois la personnalité juridique de la société tout en faisant obligation au titulaire signataire de s’identifier clairement.

Dans un arrêt du 23 Mars 2001, la Cour d’Appel de Paris s’est prononcée dans le cadre d’une procédure sur un acte dont le monopole est exclusivement réservé à l’huissier de Justice et non à son clerc conformément à la loi du 26 Décembre 1923, traitant de la saisie-contrefaçon dont le procès-verbal doit être rédigé par le titulaire en personne. Les magistrats ont décidé que la mention du nom de l’huissier devait figurer dans cet acte afin que toutes les parties concernées puissent procéder à la vérification quant à la régularité de l’acte dressé, ce dernier ne pouvant en pareille matière être signifié par un clerc assermenté.

Nous ne donnerons pas à un tel arrêt la dimension restrictive de son contexte où le point épineux était un procès-verbal doté d’une force exécutoire indéniable dans une matière particulièrement « tatillonne », compte tenu de la spécificité et de la complexité attachée à la saisie-contrefaçon liée aux intérêts en présence tant au plan juridique que financier, la saisie-contrefaçon, acte grave par excellence, étant toujours motivée par des considérations financières lourdes de conséquence en cas de vice de procédure.

L’intérêt public n’est d’ailleurs pas en reste, le législateur ainsi que le pouvoir exécutif ne s’est jamais privé de doter d’autres agents de la possibilité de pouvoir instrumenter en un tel domaine à l’image de l’administration des douanes et des fonctionnaires du ministère de l’intérieur possédant en une telle matière une compétence partagée avec les Huissiers de Justice notamment dans le cadre du volet pénal de tels procédés déloyaux et illégaux, la sévérité de la Cour d’Appel exigeant que l’Huissier signataire et personnellement instrumentaire soit clairement indiqué sur l’acte. Il aurait pu en être autrement pour tout acte d’Huissier de Justice, quand bien même fut- il délivré par un clerc assermenté sous le couvert et la responsabilité de son commettant. A la différence près que son commettant juridiquement et fiscalement parlant est bien la Société Civile Professionnelle, alors que le signataire doit bien être la personne physique procédant à la mention manuscrite de ses paraphe et signature sur le support écrit remis au signifié. Dans aucune procédure, hormis en Alsace et Moselle dont les particularités nous apparaissent en une telle matière louables, la signature du clerc ne figure sur l’acte d’Huissier de Justice.

Plus largement encore, une ordonnance de référé rendue par le Tribunal de Grande Instance de VANNES le 10 Novembre 1999 a procédé au prononcé de l’annulation d’une assignation en référé ayant pourtant donné lieu à comparution personnelle du signifié, au motif que l’omission sur l’acte introductif d’instance du nom et de la qualité de l’Huissier de Justice signataire “cause un grief au défendeur puisqu’elle le met dans l’impossibilité de vérifier que la personne physique qui a procédé à cet acte avait bien le titre d’Huissier de Justice.” Aussi judicieuse que puisse apparaître cette interprétation dans les droits de la défense, autant elle nous apparaît reproduire une notion de grief par ricochet. En effet, dans quelle mesure, l’individualisation des nom et signature de l’Huissier aurait pu dans de meilleures conditions permettre au défendeur de procéder à ces vérifications?

En fait de nullité, l’étude de la jurisprudence précitée fait la part belle à la nullité pour vice de forme sans qu’à aucun moment ne soit abordé le régime des nullités de fond.

C’est ce glissement d’un régime à un autre, que la Cour d’Appel de VERSAILLES, dans son arrêt du 15 Juin 2001 (1ère Chambre – 2ème Section n° RG 99 / 055 17 Dalloz Actualités) a voulu proscrire plaçant, en matière de signature au regard de l’article 648 du N.C.P.C., le débat sur l’exclusif régime de la nullité pour vice de forme. Les magistrats ont précisé que la seule mention de la S.C.P. d’huissier, sans identification de la personne physique signataire, ne constitue pas une irrégularité de fond aux termes de l’art. 117 du N.C.P.C. qui énumère la liste exhaustive des éléments servant de fondement à établir la nullité de fond d’un acte de procédure.

Ce régime traitant des irrégularités de fond , s’attache, au-delà des mentions formelles de l’acte, à l’analyse détaillée du contenu dont devra répondre l’Huissier de Justice tant au sens disciplinaire qu’au niveau de sa responsabilité civile, notamment en cas de fraude ou de mention à caractère dolosif notamment quant aux mentions d’un demandeur avec des coordonnées volontairement erronées. N’est-on pas garant de nos écrits ?

En pareille matière, le péché semble véniel, mais la sanction, quand bien même portant sur une seule mention formelle se doit de répondre à l’exigence du texte. La Cour d’Appel de Versailles a clairement fixé le débat: A chaque manquement, sa sanction et son régime propre de nullité.

Gabriel DAHAN Doctorant en Droit Article paru dans la revue “ANNALES DES LOYERS ET DE LA PROPRIETE COMMERCIALE, RURALE ET IMMOBILIERE”-