Officier Public et Ministeriel

OFFICIER MINISTERIEL – CESSION D’UN OFFICE – FORCE OBLIGATOIRE DU CONTRAT-ABSENCE DE VICE DU CONSENTEMENT- REDUCTION DE PRIX (NON)

Le cessionnaire d’un office public et ministériel de notaire ne peut se prévaloir d’une réduction de prix de la finance acquise en l’absence de tromperie ou de dissimulation de la part du cédant , ayant accepté d’être présenté à sa succession en ayant pleinement consenti aux termes d’un contrat de cession librement négocié entre les parties d’une part, et ayant d’autre part requis sa nomination en pleine connaissance de cause, son attention ayant d’ailleurs été attirée par le conseil régional des notaires quant au prix élevé de l’étude par rapport aux résultats nets.

L’office ministériel : un statut adossé à une valeur patrimoniale
L’officier public et ministériel dispose d’un statut pour le moins ambivalent , relevant fiscalement et socialement du régime commun à toutes les professions libérales , tout en se voyant attribué des prérogatives de puissance publique .Malgré la disparition de ce qui caractérisait à l’origine cette fonction à laquelle le privilège et la vénalité des charges collaient telle une deuxième peau, ces notions ancestrales demeurent néanmoins bien ancrées dans la mémoire de beaucoup de juristes et d’historiens, la dualité attachée au statut se reportant dans la nomination aux fonctions qui s’effectue par arrêté du Garde des Sceaux Ministre de la Justice après que le cessionnaire ait été présenté à la succession du précédent titulaire auquel sera versée une indemnité correspondant au droit de présentation de la clientèle ,la finance.

L’office apparaît donc comme un bien ou du moins une notion hors commerce ,la nomination à sa tête échappant aux prérogatives du titulaire , alors que la finance fait bien l’objet d’un contrat librement négocié entre cédant et cessionnaire obéissant aux dispositions de l’article 1134 du Code civil. A la différence près toutefois que les clauses financières du traité de cession font l’objet d’un contrôle des organismes professionnels que sont les chambres départementales ou les conseils régionaux qui sont consultés pour avis, avant que le magistrat attaché à la direction du service des affaires civiles et du sceaux du ministère de la Justice n’effectue une dernière vérification quant au prix de la finance en rapport avec les disponibilités financières et la capacité de remboursement du candidat acquéreur dont la cession obéit à des règles hybrides.

Depuis la suppression de la vénalité des charges, et contrairement à un excès de langage fréquemment entendu, l’officier public et ministériel ne cède pas son office. La seule prérogative dont il dispose est celle de négocier le montant du droit de présentation de sa clientèle à son successeur, se démettant en la faveur de ce dernier, tout en soumettant le cessionnaire à l’agrément du Garde des Sceaux. Cette transaction sous liberté surveillée fait l’objet d’un support contractuel contenant la condition suspensive de la nomination par le garde des Sceaux , cette disposition étant inclue dans tous les traités de cession.


Elle ne saurait résulter d’une pure clause de style , pourtant regardée par les receveurs des contributions indirectes avec beaucoup de circonspection, y voyant un moyen pour différer la perception des droits d’enregistrement au droit proportionnel à la date d’entrée en fonction effective du cessionnaire ,mais sa raison d’être est liée à la nature même de l’office sachant que cette condition qui loin d’être potestative ,lie la réalisation de l’ensemble du traité à la signature et la publication au Journal Officiel de l’arrêté de nomination; le nouveau titulaire n’entrant réellement en fonction qu’à l’issue de sa prestation de serment devant le Tribunal de Grande Instance auquel il est attaché dans le mois de l’arrêté de nomination. Le cessionnaire requiert en outre par une supplique adressée au Ministre de la Justice son agrément es qualité du successeur du précédent titulaire, cette requête étant exclusive de toute considération financière.

Le statut sui generis de l’officier public et ministériel ,n’est pas sans influence sur son exercice quotidien, les prémices d’une telle ambivalence apparaissant dés la conclusion du traité de cession qui prend certes la forme d’un support contractuel ,qui ,d’une part aux termes de l’article 1134 du Code Civil fait force de loi entre les parties étant soumis à toutes les dispositions relatives notamment aux vices du consentement, mais qui d’autre part, compte tenu des prérogatives attachées à son statut, autorise les autorités hiérarchiques à effectuer un contrôle à priori du prix de cession.

En effet, les dossiers de cession soumis à la direction des affaires civiles et du Sceaux et font l’objet d’un examen plus que minutieux selon un critère sécuritaire à consonance financière : le candidat acquéreur doit pouvoir assumer les remboursements de ses prêts et doit assurer la survie économique de “son” office, sans risquer la mise en péril des fonds qui lui sont confiés au nom des clients , tiers au centre de toutes les protections.

Et pour cause, monopole à la clé, les usagers auxquels on peut difficilement donner le qualificatif général de clients , se retrouvent face à un choix on ne peut plus limité quant aux panel obligatoire des procédures usitées tant pour l’acquisition d’un bien immobilier que les notaires sont les seuls à pouvoir formaliser que pour assurer l’exécution d’une décision de justice que seuls les huissiers ont faculté de diligenter à la requête des créanciers autres que ceux dotés de pouvoirs exorbitants que sont notamment les personnes morales de droit public . L’usager disposant tout au plus du choix de la personne de son interlocuteur, sans pour autant pouvoir se passer des services de la profession sans pour autant mettre les parties à l’abri de conflits ultérieurs

Le pouvoir de vérification exercé a priori sur le prix de cession par la Chancellerie, ne semble pas exclusif d’un contrôle à posteriori des autorités judiciaires qui se retrouvent saisies en cas de litige entre cédant et cessionnaire, généralement sur l’épineux point de l’analyse d’une éventuelle réduction de prix. Et ce sans compter les “arbitrages” orchestrés par les chambres départementales, dont le président se trouve affublé du rôle de “monsieur bons offices” à la demande des protagonistes le saisissant postérieurement à la naissance du litige. A moins que les parties en conflit ne s’adressent à lui se fondant sur les termes du traité de cession ayant prévu une clause compromissoire dont la validité dépend d’avantage à notre sens de la volonté d’apaisement que du droit pur sur la force obligatoire d’un tel gentlemen agreement, sans compter les attributions allouées aux organes professionnels , à l’image de ce que prévoit l’article 6-3° de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 pour les huissiers de justice dont la chambre départementale a notamment pour attribution de prévenir ou concilier les différends professionnels entre huissiers du ressort et de trancher en cas de conciliation ces litiges par des décisions immédiatement exécutoires.

Comment concilier alors prérogatives de puissance publique et contrat ? D’autant plus que les parties en présence ne semblent pas démunies de connaissances juridiques leur permettant plus que tout autre professionnel de cerner les subtilités juridiques et économiques inhérentes à la cession et l’acquisition de la finance d’un office ministériel dont l’issue reste néanmoins guidée par la loi du contrat, malgré les critères de vérifications opérés par la Chancellerie

Dans un arrêt du 10 juillet 2002, la Cour de cassation, au nom de la sécurité du contrat, a mis en exergue les dispositions contractuelles au profit du cédant qui avait été condamné par une Cour d’appel en réduction du prix de l’office notarial cédé , censurant l’arrêt d’appel.

Dans cette espèce, un notaire s’était démis de sa fonction , ayant présenté son successeur à l’agrément du Garde des Sceaux moyennant une indemnité. Suite à sa nomination, le nouveau titulaire s’est trouvé confronté à une situation différente de celle qui lui avait été présentée et a assigné son prédécesseur afin de nomination d’un expert chargé d’arbitrer le prix de l’étude. Les juges d’ appel ont fixé un prix moindre à celui objet de la transaction et ont réduit le prix de cession de 15% ayant en outre condamné le cédant à des dommages –intérêts équivalents à 6% du prix initial, estimant le prix de l’étude au juste prix “auquel il n’était pas possible de renoncer, qui correspondait à la fois à la loi de l’offre et la demande,aux usages de la profession et aux considérations économiques.”

Les magistrats suprêmes sont néanmoins d’un avis contraire , ayant tranché en faveur du cédant . La loi du contrat s’impose aux parties , le débat ayant été placé sur le terrain du vice du consentement. En effet , en absence de tromperie ou de dissimulation, ces faits ne pouvaient être reprochés au cédant et compte tenu du fait que le cessionnaire avait accepté les termes du contrat qui lui était proposé en toute connaissance de cause, sachant que de surcroît, l’attention du plaignant avait été attirée par le conseil régional des notaires quant au prix élevé par rapport au résultats de l’étude, et que le cessionnaire avait néanmoins accepté d’être présenté à la succession du précédent titulaire, il convenait de censurer l’arrêt d’appel.

Une telle vision sécuritaire au niveau de l’interprétation du contrat de cession nous apparaît salutaire sur le plan purement contractuel, même si les critères d’appréciation entre la Chancellerie et les juges relèvent de degrés divers. Sur le plan contractuel, l’acquisition d’un office public et ministériel se fait en corrélation avec un tableau établi selon un mode uniforme par la chancellerie faisant référence aux produits demi-nets de l’étude auquel est affecté un coefficient qui est laissé à la libre appréciation des parties. Ce coefficient est librement fixé entre les signataires , sachant que les usages liées à telle ou telle profession font pencher la balance vers une interprétation plus ou moins extensive par les organismes professionnels , chambre départementale ou conseil régional de la profession concernée, cette donnée variant en fonction de la situation géographique de l’office la teneur de la clientèle et les disponibilités financières du candidat et d’éventuels prêts souscrits auprès de sa future communauté.

Une telle large latitude d’interprétation est liée à la “loi du terrain” et aux usages, sachant que la seule référence connue à un texte est une circulaire du 21 mai 1976 dont référence est faite dans le tableau communiqué à la Chancellerie qui contient l’état des produits demi-nets de l’office (constitués par résultat des produits bruts auxquels sont déduits la somme du loyer des locaux, des salaires bruts et des charges sociales y compris l’impôt sur les salaires) dont le montant permet au magistrat instruisant le dossier de vérifier si le prix négocié est conforme aux usages de la profession et aux capacités de remboursement du candidat au regard du plan de financement accompagnant le dossier de cession , le tout en étroit rapport avec les données économiques. Cette analyse minutieuse portant tant sur la viabilité de l’office en rapport avec le prix de cession proposé, et les disponibilités financières du candidat acquéreur permet à l’autorité judiciaire de rejeter tout dossier lui apparaissant économiquement non viable, hormis toute notion de vice du consentement dont l’appréciation relèvera a posteriori des juridictions éventuellement saisies d’un litige, sans pour autant que ces dernières ne désolidarisent leur vision du dossier du pur fondement contractuel. L’arbre ne devant pas masquer la forêt, un raccourci est certes aisé à tracer et seul le courage de certains interprètes permettrait de tracer une ligne droite entre l’inégalité de traitement des candidats acquéreurs devant l’accès aux charges d’offices publics et ministériels en fonction de l’apport personnel dont ils disposent en présence de candidats acquéreurs aux fortunes et aux destinées variées.

En effet, une simple analyse économique d’un projet de viabilité et d’un plan de financement permettra d’admettre un postulant fortuné à la succession d’un officier public et ministériel cédant un office prestigieux au détriment d’un candidat certes plus brillant mais doté de capacité financière moindre; ce dernier devant “se contenter d’un office de seconde zone ” ou en tout cas davantage en rapport avec ses disponibilités financières. Cette hypothèse sera certes battue en brèche par bon nombre de membres des organes hiérarchiques qui proclament néanmoins haut et fort une volonté d’ouverture à leurs professions réglementées avec à la clé des facilités offertes aux candidats acquéreurs par le biais des caisses de prêt internes à chacune des professions. Mais ceux-là mêmes sont les co-rédacteurs des cahiers des charges les plus draconiens adjoints aux dossiers d’emprunts permettant à la communauté prêteuse de se couvrir en cas de défaillance du candidat par le biais de l’obligation de faire souscrire aux cautions une garantie hypothécaire, ou par l’incitation faite aux moins fortunés d’avoir recours aux sociétés de caution mutuelle dont les services n’ont rien de commun avec une œuvre philanthropique. Une simple lecture des annonces de ventes des offices ministériels permettra d’étayer nos affirmations. Les cédants des études géographiquement les mieux situées et économiquement les plus rentables, n’exigent-ils pas des candidats acquéreurs un “apport personnel indispensable” ? L’inégalité devant les charges ne relèverait pas du mythe.

Certains nous reprocherons de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous répondrons à de tels détracteurs que chacun reste libre du choix de l’arbre sur lequel il entend se percher, chêne ou roseau. Etant entendu-mais encore faut-il avoir le courage de la rappeler- qu’une acquisition d’office ministériel ne doit pas être confondue avec l’achat d’une rente de situation compte tenu d’une part des évolutions et des incertitudes pesant sur l’avenir de certaines professions juridiques, et d’autre part des aléas liés à toute cession de clientèle de quelque nature qu’elle soit ,qu’elle soit ou non liée au numerus clausus.

Nous en voulons pour simple preuve les incertitudes qui pèsent sur l’avenir de certains offices ministériels dont la pérennité reste soumise aux aléas des évolutions législatives et réglementaires : simplification des procédures notamment liées au droit de la preuve ,de la famille , de l’immobilier ou de l’exécution, au service du louable souci de l’économie mais au mépris néanmoins du tout aussi nécessaire principe de la sécurité juridique.

Sans vouloir apparaître rivés à des privilèges attachés à une époque révolue, nous assistons à un phénomène ,que nous osons espérer comme réversible, tendant à transformer nos études – avec la valeur patrimoniale qui s’y attache- en coquilles vides . Le salut des offices ministériels viendra sans nul doute de la capacité de ses membres à faire évoluer voire à dépoussiérer leur statut le rendant davantage compatible avec les réalités économiques qui auront durant la prochaine décennie de plus en plus tendance à faire évoluer le droit, support essentiel à la sécurité de toute transaction qui pourra dès lors non seulement se conclure de bonne foi mais être exécutée dans des conditions sereines.

N’est ce pas la loi du contrat que la Cour de cassation a entendu faire prévaloir par dessus d’autres considérations annexes , rejetant les arguments d’un acquéreur mécontent ayant sollicité son agrément à la tête d’un office ministériel de notaire en toute connaissance de cause ?

Gabriel DAHAN
Doctorant en Droit
Article paru dans l’édition de janvier 2003 de la revue “ANNALES DES LOYERS ET DE LA PROPRIETE COMMERCIALE, RURALE ET IMMOBILIERE”