De l’émergence d’une nouvelle espèce protégée : le professionnel – consommateur.
Considérée dans ses prémisses comme une technique commerciale de pointe par ses adeptes, la vente par démarchage à domicile s’est rapidement attirée les foudres des associations de consommateurs qui y ont vu une méthode relevant d’avantage du harcèlement que du contrat librement consenti par l’acheteur, qui finalisait son achat en succombant aux arguments de son habile et souvent insistant interlocuteur.
C’est essentiellement le droit à l’erreur qui a été consacré, reconnaissant au signataire acquéreur le droit de se rétracter à l’issue d’un délai dit de réflexion d’une durée de sept jours, tout en régissant le formalisme attaché à ce droit (article L 121-23 et suiv. du Code de la Consommation). Les vendeurs se retranchant habilement derrière les bienfaits de cette école du terrain dont sont issus bon nombre d’autodidactes , gage d’un certain succès , s’engouffrèrent dans la brêche du confort offert au consommateur chez lequel le démarcheur se rend , concept d’ailleurs repris par les sites internet de vente en ligne , à la différence près que les cibles sont économiquement différentes ,et que sur la toile les perspectives de comparaison sont largement ouvertes par le biais d’un simple clic sur le site commercial d’un concurrent.
Les banques de consommation courante très fortement impliquées dans les centres commerciaux et spécialisées dans les crédits dits sans formalités”facilitant” l’acquisition des biens d’équipement n’ont pas laissé longtemps le terrain vierge , jumelant les offres de financement aux ventes de biens par démarchage à domicile ,et s’adjugeant à grands renforts de publicité les pages stratégiques des magazines télé dont la lecture n’est pas l’apanage exclusif des cadres supérieurs .
C’est la clientèle des “économiquement influençables ” que la loi sur le démarchage à domicile du 22 décembre 1972 a entendu protéger . Haro sur le vendeur rapace avide de remporter le challenge interne avec à la clé un séjour de rêve aux Canaries , et sus aux méthodes agressives destinées à remplir du bon de commande à la chaîne. L’article L 121-21 du Code de la Consommation soumet à stricte réglementation tout auteur ou commanditaire de”démarchage , au domicile d’une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail ,même à sa demande ,afin de lui proposer l’achat, la vente ,la location ,la location-vente ou la location avec option d’achat de biens ou la fourniture de services. »
Néanmoins, tout acquéreur ne semble pas digne de cette protection que le législateur a voulu réserver au consommateur a priori « civil » au sens juridique du terme. L’article L 122-22 du Code précité contient les exclusions au chapitre desquelles on retrouve une disposition concernant le commerçant . Ne sont pas soumises à la loi « les ventes ,locations ou locations-ventes de biens ou les prestations de services lorsqu’elles ont un rapport direct avec avec les activités exercées dans le cadre d’une exploitation agricole , industrielle , commerciale ou artisanale ou de toute autre profession. ». Le professionnel ,en général, « majeur et vacciné » n’a donc besoin d’aucune protection en la matière , considéré comme aguerri et au fait des règles commerciales.
Les choses ne sont pas pourtant pas aussi catégoriques, la jurisprudence apparaissant magnanime en fonction des évènements et des parties en litige , la loi pouvant être interprétée de manière extensive notamment sur la notion de rapport direct avec l’activité exercée par le professionnel requérant protection.
Le pavé dans la mare a été jeté par la Cour d’appel de Caen dans un arrêt du 21 mars 2002 qui a consacré la protection du commerçant démarché lui accordant le droit à se rétracter .Le rapport de forces dans cette espèce était tel ,qu’il plaidait en faveur de l’acceptation de la protection dans un litige opposait une société spécialisée dans le multimédia à une commerçante tenant un « petit commerce de village destiné à satisfaire les besoins fondamentaux d’une population rurale » La commerçante avait souscrit un contrat d’accord de création d’un point club multimédia pour un durée de six mois avec paiement à tempérament par remise d’effets de commerce à échéances. L’acquéreur a refusé la livraison et n’a pas honoré ses lettres de créance, faits qui lui ont valu d’être assignée par le fournisseur en paiement .
La défenderesse plaide la nullité de la convention pour infraction à la législation sur le démarchage à domicile ainsi que le dol , invoquant des manœuvres utilisées par la société venderesse pour qu’elle consente à l’acquisition du concept. La Cour a estimé que la location de cassettes par la création d’un point vidéo –club est « totalement étrangère à la destination « du commerce de la défenderesse , et que « loin de constituer le prolongement de l’activité commerciale ou même d’en assurer une complémentarité ,le contrat litigieux avait pour objet la création parallèle d’une activité entièrement distincte de celle exercée dans le cadre de l’exploitation commerciale de la contractante » et que dès lors le contrat rentre bien dans le cadre des dispositions protectrices traitant de la vente par démarchage à domicile.
En outre , les magistrats ont pris en compte l’économie du contrat opérant un rapprochement entre la situation financière de la commerçante « abusée » et le risque de cessation des paiements qu’ aurait pu engendrer l’exécution du contrat litigieux, sans pour autant que soit passé sous silence le volet pénal de la loi :les juges d’appel ont en effet ordonné l’envoi de leur décision au procureur de la République « à toutes fins ».
La sécurité du commerce n’est donc pas exclusive de la loyauté des règles le gouvernant notamment quant aux méthodes agressives de démarchage de certains commerciaux face auxquelles tout professionnel aussi méfiant soit-il ne saurait être à l’abri , le chant des sirènes des maîtres de la marquétique étant merveilleusement orchestré.