L’abus ne fait pas le moine

L’abus ne fait pas le moine Par Gabriel DAHAN DEA en Droit maritime Huissier de Justice près le TGI de NANTES CHRONIQUE PARUE DANS LE JAL DE LOIRE ATLANTIQUE L’INFORMATEUR JUDICIAIRE EDITION DU 10 JANVIER 2014

L’autonomie et l’indépendance dont bénéficie l’auto-entrepreneur dans ses relations avec le donneur d’ordre rendent incompatible sa collaboration avec toute clause d’exclusivité notamment géographique ainsi que toute atteinte à la liberté d’exercice du prestataire qui reste maître de ses horaires et de sa facturation, étant titulaire de sa propre clientèle.

Toute circonstance portant atteinte à ce principe d’indépendance notamment dans l’hypothèse d’un ancien salarié qui reste au service de son ancien employeur mais sous un statut différent plaide en faveur de la requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail à durée indéterminée. La relation contractuelle requalifiée apparait comme un contrat de travail dissimulé.

C’est dans cette droite logique que le 13 décembre 2013, le Conseil des Prud’hommes de Saint Nazaire a inscrit une nouvelle jurisprudence en condamnant avec exécution provisoire un centre équestre exploitant des installations municipales sous délégation de service public, à la requalification en faveur d’un enseignant d’un contrat d’auto-entrepreneur en contrat de travail.

Ce « collaborateur » ancien élève du centre de formation dirigé par l’actuel exploitant de l’établissement condamné, avait été dans un premier temps embauché en qualité de moniteur sous contrat à durée déterminée du 14 décembre 2011 au 31 mars 2012 , contrat au terme duquel un contrat de prestation de services sous statut d’auto-entrepreneur lui avait été proposé ; et ce sans autre alternative que de devoir voguer sur des océans plus cléments. Auto-entrepreneur ou la porte.

Le choix semblait cornélien pour ce moniteur d’une vingtaine d’années face à l’ancien formateur auprès duquel il avait étudié une année scolaire, avant que ce même enseignant ne lui décerne un sésame qu’il lui offrait désormais de mettre au service du centre équestre. C’est donc dans ce contexte pour le moins tendu qu’est intervenue la relation contractuelle faisant de l’ancien élève, devenu brièvement salarié, un travailleur indépendant.

Pas aussi indépendant que cela ont estimé les juges.

Magistrats sur les épaules desquels pèse notamment selon un courant jurisprudentiel établi : l’appréciation souveraine de l’état de subordination et des circonstances matérielles et des conditions de fait dans lesquelles s’exécute la prestation (Cass. ass. plén, 4 mars 1983, Bull. civ. n° 3 ; Soc. 17 sept. 2008, n° 07-43.265 et n° 07-43.267, Juris-Data n° 2008-045062 ; D. 2009. pan. 590.) et ce indépendamment de la volonté des parties .

Après avoir rappelé l’article L 8221-6 II du Code du travail aux termes duquel le lien de subordination juridique et permanente entre le prestataire et le donneur d’ordre est un élément à l’appui de l’existence d’un contrat de travail, les juges ont considéré que le contrat de prestation faisait état d’un taux horaire qui assujettissait le prestataire et non une proposition tarifaire du prestataire librement consentie par le client. Nous y voyons un contrat d’adhésion qui fait échec au libre arbitre dont doit légitimement bénéficier le travailleur indépendant faut de quoi il rentrerait en état de dépendance économique.

De surcroit, une clause exclusive de territorialité avait été signée que les juges ont estimé incompatible avec une profession indépendante librement exercée Ces éléments définissant les conditions matérielles de l’activité caractérisent donc le lien de subordination.

C’est en conséquence l’existence de ce lien de subordination qui conduit le Conseil des prud’hommes à requalifier le contrat de prestation de service du moniteur d’équitation en contrat de travail à durée indéterminée à compter de son entrée en vigueur . Ce conflit étant consécutif à la rupture du contrat, les conditions pour le moins particulières de cette rupture ont été évoquées à la barre. A la lecture de l’article L 1231-1 du Code du travail, il ressort que la rupture d’un CDI doit intervenir à l’initiative de l’une ou l’autre des parties ou d’un commun accord dans des conditions définies par le Code.

Le moniteur ayant apporté la preuve que sa lettre de démission lui ayant été imposée par la co-gérante de la société exploitant le centre équestre , l’ayant recopiée sous sa dictée , les juges ont relevé que les anomalies contenues dans cette lettre suscitent un doute certain… compte tenu du contexte dans lequel est exposé le litige et de considérer enfin que le doute est suffisamment étayé pour ne pas respecter le caractère non équivoque que doit revêtir la lettre de démission .

A l’image du contrat de travail qui était déguisé en contrat de prestation de service, le licenciement était à son tour déguisé en démission. Les choses se terminent sous le même climat que celui sous lequel elles naquirent : le doute. Doute qui au regard des textes régissant le Droit du Travail n’a pas bénéficié à la société exploitant le centre équestre qui , se trouve en outre condamnée au paiement d’indemnités compensatrices de préavis , de non- respect de la procédure de licenciement , de sommes au titre des congés payés outre des dommages-intérêts pour le préjudice subi et ce du fait de la reconnaissance du contrat de travail en faveur du moniteur. Dans une chronique publiée dans la Revue des Sociétés (2010 p.495) sur l’auto-entreprenariat sous le titre : « L’auto-entreprenariat : une solution à la création d’entreprise ? Mise en perspective avec la SASU, l’EURL et l’EIRL», Adélie POMADE rappelle certaines règles essentielles régissant la matière mettant l’accent sur les lignes blanches que d’aucuns franchissent aisément par abus ou par faiblesse.

Elle met l’accent sur les risques juridiques de requalification de l’auto-entrepreneur en contrat de travail lorsqu’il exerce son activité à titre principal surtout quand il œuvre principalement ou exclusivement pour le compte d’un tiers dans les locaux, avec le matériel et aux heures d’ouverture de ce dernier

Elle rajoute que cette hypothèse se trouve renforcée si l’auto-entrepreneur exécute une prestation pour son ancien employeur.

Ce qui était le cas en notre espèce. A l’appui des jurisprudences dans laquelle notre espèce s’inscrit, elle insiste sur le fait que la présomption légale d’indépendance dont bénéficie l’auto-entrepreneur n’est pas irréfragable, et qu’un travailleur présumé indépendant est seulement celui « dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec le donneur d’ordre » (Art. L. 8221-6-1 du Code du travail).

Et l’auteur d’enfoncer le clou : « l’auto-entrepreneur peut engager sa responsabilité solidairement avec le donneur d’ordre s’il est reconnu complice du travail dissimulé . » (Art. L. 8222-2 du Code du travail ). La frontière est une fois encore de la largeur du papier à cigarettes : la rébellion entraîne la perte de l’activité du prestataire salarié qui s’ignore ; le silence conduit ce même présumé indépendant à subir les foudres de la juridiction notamment pénale au même titre que l’auteur principal, l’employeur désormais démasqué.

Aff. Romain LEVENT contre SARL LA BAULE EQUITATION Jugement du Conseil des Prud’hommes de St Nazaire 13 décembre 2013- RG N°F-13/00043)