Saisie attribution : reine des procédures, procédure des rois.
Arrêt de référence : Civ. 2e, 24 mars 2022, F-B, n°20-12.241
En instaurant la saisie-attribution dans le cadre de l’opportune humanisation des procédures d’exécution qui mettait en second plan les mesures frappant les facultés mobilières plus traumatisantes (notamment la saisie des meubles chère aux quolibets des Trois frères ) , le législateur de 1990 pensait bien faire . Grand bien lui en fit.
Mais se doutait-il que malgré que cette saisie des avoirs notamment bancaires soit affublée de l’efficace effet attributif en faveur du créancier, la jurisprudence fournirait encore ,plus de 30 ans après la mise en oeuvre de cette reine des procédures , autant de décisions pour mettre à mal l’imagination toujours débordante des débiteurs saisis ?
En effet , ainsi qu’en dispose l’article L211-1 du Code des procédures civiles d’exécution « Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent …. »
C’est l’acte de saisie attribution émanant de l’huissier de Justice (signifié ou transmis par voie de signification électronique à l’attention des banques) qui , au regard de l’article L211-2 du même Code , « emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation. La notification ultérieure d’autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d’un jugement portant ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution…. ».
Cette mesure met à contribution le tiers saisi : établissement bancaire , notaire , fournisseur ou autre détenteur de sommes pour le compte du débiteur saisi ; et ce tiers, intimé bien malgré lui , devient un acteur majeur de la procédure triangulaire se retrouvant « tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. » aux termes de l’article L 211-3 de ce même Code .
A défaut , le tiers saisi s’expose à une condamnation en paiement des causes de la saisie , l’acte de saisie attribution le rendant « personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation. » (Article L211-2 CPE) , et pour cause : à la lecture de ce même texte : « L’acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires ». Les banques et certains tiers rompus aux « affres » de la saisie attribution connaissent les subtilités de cette procédure et le poids des responsabilités qu’elle est susceptible d’engendrer ; et ce non seulement en cas de réponse mensongère ou d’absence de réponse inhérente à une piètre considération de la visite d’un huissier de Justice , intimant par exemple un locataire dans le cadre d’un acte de poursuite à l’encontre de son bailleur ,( avec les loyers pour assiette de la créance ) portant sur les loyers , ou encore un acte signifié à un client d’un fournisseur redevable d’une dette que la procédure va tenter d’appréhender : d’où l’intérêt pour le tiers saisi d’affiner se réponse quant à la teneur de ses obligations à
l’égard du débiteur principal, et d’y assortir le cas échéant toutes les réserves qui pourraient affecter la nature et le quantum de sa dette à l’égard de son créancier devenu la cible de la procédure d’exécution. A défaut , il lui en cuirait . En l’espèce , c’est le sort des virements initiés avant le fatidique couperet qu’est l’acte de saisie qui a donné lieu à un arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 2e, 24 mars 2022, F-B, n°20-12.241). Cette affaire se joue entre « pros ». Une créancière fait pratiquer une saisie attribution des comptes appartenant à une société qui lui est redevable entre les mains d’une banque qui déclare détenir pour le compte de la débitrice une somme qui se trouve in fine amputée de montants objets de virements qui auraient été ordonnés le jour même . Ces virements apparaissent comme ayant été initiés quelques heures avant l’acte de saisie qui , rappelons le , est un des rares actes qui , outre la date commune à tous les actes ,exige que soit indiquée l’heure à laquelle la procédure est effective , heure qui se retrouve de facto au rang des mentions à caractère authentique valant jusqu’à inscription de faux à l’image de la date. La créancière (qui est également une banque ….) assigne le tiers saisi en paiement des causes de la saisie estimant que « les virements au débit ne sont pas prévus dans la liste de l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution et qu’ils ne peuvent affecter le solde du compte saisi » , et qu’en conséquence , la banque tiers saisi n’aurait pas dû déduire le montant des virements antérieurs du solde initialement déclaré à l’occasion de la saisie . En effet , au sens de l’article L 162-1 précité : « Lorsque la saisie est pratiquée entre les mains d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôt, celui-ci est tenu de déclarer le solde du ou des comptes du débiteur au jour de la saisie. Dans le délai de quinze jours ouvrables qui suit la saisie et pendant lequel les sommes laissées au compte sont indisponibles, ce solde peut être affecté à l’avantage ou au préjudice du saisissant par les opérations suivantes dès lors qu’il est prouvé que leur date est antérieure à la saisie :1° Au crédit : les remises faites antérieurement, en vue de leur encaissement, de chèques ou d’effets de commerce, non encore portées au compte ;2° Au débit : a) L’imputation des chèques remis à l’encaissement ou portés au crédit du compte antérieurement à la saisie et revenus impayés ;b) Les retraits par billetterie effectués antérieurement à la saisie et les paiements par carte, dès lors que leurs bénéficiaires ont été effectivement crédités antérieurement à la saisie. Par dérogation aux dispositions prévues au deuxième alinéa, les effets de commerce remis à l’escompte et non payés à leur présentation ou à leur échéance lorsqu’elle est postérieure à la saisie peuvent être contrepassés dans le délai d’un mois qui suit la saisie. Le solde saisi attribué n’est diminué par ces éventuelles opérations de débit et de crédit que dans la mesure où leur résultat cumulé est négatif et supérieur aux sommes non frappées par la saisie au jour de leur règlement. » Or la Cour de cassation a validé la position de la Cour d’appel qui a considéré que les virements n’étant pas prévus dans la liste de l’article L. 162-1 précité ils n’affectent pas le solde du compte saisi. Une telle position sacralise ,s’il en était encore besoin ,la puissance de la reine des procédures qu’est la saisie attribution et ce au grand dam de la sécurité des transaction et des ordres de virement antérieurs à l’acte de procédure à effet attributif , sachant qu’en l’espèce , le tiers saisi doit adopter une lecture et une application restrictives de cet article L 162-1 que nous avons pris soin de rappeler in extenso pour les besoins de la cause .
Cerise sur le gâteau, le tiers saisi ayant été condamné à des dommages-intérêts à titre personnel , et non aux causes de la saisie , il ne dispose en l’espèce d’aucun recours contre le débiteur . Quand ça veut pas, ça veut pas.
Gabriel DAHAN
12/12/2022